Le chanvre creuse son sillon
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rendre une décision qui remet en cause l’interdiction en France d’importer et de commercialiser des produits contenant du cannabidiol (CBD), une substance extraite des fleurs et des feuilles de chanvre. Cette décision intervient alors que le débat sur la molécule controversée fait rage. En quoi, est-elle susceptible de changer la donne ? Nous avons interrogé Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre et fondateur de la marque Hello Joya.
Circuits Bio – Pourquoi la décision de la CJUE est-elle si importante ?
Aurélien Delecroix – Cette décision fait suite à une saisine par la Cour d’Appel d’Aix en Provence à propos de l’arrêté du 22 août 1990 qui limite en France la culture, l’importation et l’utilisation du chanvre aux seules fibres et graines de la plante. Ce texte interdit de fait l’importation et la commercialisation de produits contenant du CBD qui extrait des feuilles et des fleurs de chanvre. C’est précisément cette interdiction que la CJUE vient de juger contraire au droit de l’Union européenne.
CB – Que nous disent plus précisément les magistrats ?
AD – La CJUE apporte une précision essentielle au débat en rappelant que le principe de libre circulation des marchandises entre les différents Etats membres s’applique bien aux produits contenant du CBD. A moins d’apporter des preuves quant au risque que comporterait cette molécule pour la santé, un Etat ne peut s’opposer à une importation sur son territoire. Autre point important à retenir : pour la cour, le CBD ne peut être considéré comme un produit stupéfiant dans la mesure où la molécule ne présente aucun effet psychotrope.
CB – Quelles sont les implications concrètes de cette décision ?
AD – Elles sont nombreuses. Cette décision pose une base légale européenne qui faisait défaut jusqu’à présent. Elle clarifie la position des acteurs français qui importent du CBD issu d’un pays de l’UE en rappelant la légalité des importations et de la commercialisation de ces produits sur notre territoire. Le jugement de la CJUE constitue également un signal fort adressé à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) qui suite à cette publication a reconnu la nécessité de faire évoluer la règlementation française. Enfin, cette décision va permettre à la mission d’information de l’Assemblée nationale qui se penche en ce moment sur la réglementation des différents usages du cannabis, d’appuyer certaines de ses recommandations. Celles-ci sont d’ailleurs attendues très prochainement.
CB – Dans quelle mesure cette mission peut-elle faire bouger les lignes ?
AD – Les députés qui sont partie prenante de la mission d’information sur le chanvre bien-être ont vraiment à cœur que la situation évolue. C’est maintenant à eux de jouer. Une fois leurs recommandations remises, il leur faudra entamer des discussions avec l’exécutif afin que l’arrêté de 1990 soit amendé et que la culture des feuilles et des fleurs soit autorisée ainsi que l’extraction de CBD. Si l’exécutif ne souhaite pas aller sur ce terrain, les députés ont aussi la possibilité de déposer un projet de loi. Les élus vont avoir un rôle essentiel à jouer dans l’alimentation des débats autour de la construction d’un nouveau cadre règlementaire en France pour le CBD.
CB – Quelles sont vos attentes dans ce dossier ?
AD – La CJUE a été claire sur la question de la libre circulation entre les Etats membres des produits contenant du CBD. L’étape suivante consistera à mettre sur pied une réglementation qu’on espère claire et sans ambiguïtés sur la culture et la transformation du chanvre mais aussi sur les produits finis. Les usages du CBD sont multiples. Pour la bonne sécurité de la filière, il est essentiel que nous disposions d’un encadrement adapté à chaque typologie de produit.
Retrouvez dans notre troisième numéro un dossier complet consacré au chanvre, une « plante aux vertus stupéfiantes ».