Interview – Philippe Camburet

19 avril 2022 - Propos recueillis par Erwan Le Fur

Philippe Camburet est président de la Fédération nationale d’Agriculture biologique (Fnab) depuis mai 2021. Il est aussi producteur de grandes cultures en Bourgogne. Pour Circuits Bio, il revient sur la situation économique et géopolitique actuelle et leurs conséquences sur les exploitations qui travaillent en bio.

Crédit photo : William B Besançon

Circuits Bio – Comment se porte la production en cette période délicate ?

Philippe Camburet – Ça dépend de l’organisation de chaque exploitation. Les producteurs qui pratiquent la vente directe (environ un tiers d’entre eux) ont vu leurs résultats marquer le pas l’année dernière. Ce mode de distribution n’en reste pas moins un fort facteur de valeur ajoutée dans une exploitation bio. Les agriculteurs organisés en filière longue qui travaillent avec le circuit conventionnel subissent les aléas des marchés sans pouvoir être véritablement acteurs. Les récents déclassements en lait bio en sont le meilleur exemple.

CB – Quelles sont les spécificités du partenariat avec le circuit spécialisé ?

PC – C’est le confort de travailler avec des opérateurs dont on partage les valeurs. A titre personnel, mon exploitation livre à une coopérative 100 % bio qui fournit plusieurs enseignes spécialisées. La filière telle qu’elle a été montée nous permet aujourd’hui de bénéficier d’un tunnel de prix qui nous préserve de la baisse de fréquentation dans les points de vente. En attendant, évidemment que ça reparte.

CB – Dans quelle mesure la guerre en Ukraine impactera l’activité des agriculteurs bio ?

PC – Je pense que les éleveurs seront les premiers impactés en raison de l’augmentation du coût de l’alimentation. Même si en bio, on tend à privilégier l’autonomie, nombre d’exploitations s’approvisionnent auprès de fournisseurs extérieurs. L’augmentation du coût de l’énergie va en revanche toucher tous les producteurs. Ça va être intéressant d’ailleurs de voir comment les consommateurs vont réagir face aux prix des premières tomates bio produites en serres chauffées dans les prochaines semaines.

CB – Un pronostic sur le sujet ?

PC – J’espère qu’elles ne trouveront pas preneur ! Et qu’enfin on apprendra de la situation. On faisait n’importe quoi quand l’énergie n’avait qu’un coût modéré, maintenant que les prix explosent, il va falloir adopter des attitudes plus vertueuses.

CB – La bio spécialisée a donc tout son rôle à jouer ?

PC – Bien sûr. Dans son discours d’introduction au Salon de l’Agriculture, le Président Emmanuel Macron a livré un discours très anxiogène. Mais l’agriculture des problèmes, celle qui est en train de tressaillir aujourd’hui, c’est justement celle qui s’inquiète de ne plus voir arriver dans ses exploitations les camions d’engrais. A l’inverse de ça, il y a une agriculture qui peut continuer à produire même si tous les gazoducs et les oléoducs sont fermés. Sans compter les nombreux autres bienfaits que la production biologique comprend.

CB – Avez-vous pu échanger avec le Président sur le sujet ?

PC – Oui, à l’issue de son discours. Il m’a répondu que c’était effectivement un argument de poids.

CB – Quel est le dossier le plus chaud pour la Fnab en 2022 ?

PC – Dans quelques semaines, la Commission européenne va remettre ses observations aux Etats membres sur leur proposition de mise en place de la future Pac. Pour une validation finale en décembre 2022. La proposition française ne change rien, n’impose rien en matière de réduction de pesticides, de biodiversité ou de préservation de la qualité de l’eau. Cette période va constituer une fenêtre à exploiter pour tenter à nouveau de faire de la Pac un véritable outil de transition agricole.