Il traverse la bergerie à toute vitesse ! Ce petit agneau fonce pour téter sa mère qu’il retrouve sans encombre parmi les 300 brebis de Thomas Raiffé. Les trois quarts du troupeau sont issus de la race Charmoise. Le reste est de race Suffolk, reconnaissable à sa tête noire. Mais il ne s’agit pas de leur seule différence. « La Suffolk donne naissance à deux gros agneaux d’environ huit kilogrammes en mars. La Charmoise, quant à elle, fait généralement un seul petit agneau de deux à trois kilogrammes. Il s’agit également d’une race dessaisonnée capable d’agneler en dehors du pic habituel qui se situe au printemps ».
Bien que la majorité de ses ovins naissent à cette période, Thomas Raiffé parvient à étaler l’agnelage de ses Charmoises entre septembre et mai.« Les brebis ovulent habituellement lorsque les jours diminuent. Mais la Charmoise est moins sensible à ce critère et peut être stimulée plus facilement sur les autres périodes de l’année, explique Thomas Raiffé. J’utilise ce qu’on appelle « l’effet bélier ». Je mets les mâles et les femelles en contact après avoir été isolés pendant un à deux mois. Ce léger stress, combiné à la présence de bonne nourriture, peut suffire pour déclencher une ovulation ».
Mais cela ne marche pas à tous les coups ! La naissance d’agneaux en dehors du printemps reste minoritaire pour l’exploitant. La démarche lui permet néanmoins d’étaler ses ventes tout au long de l’année. Celles-ci sont réparties pour moitié en vente directe (aux particuliers et aux bouchers). Le reste est écoulé via Bretagne Viande Bio qui fournit principalement Biocoop. L’éleveur peut ainsi répondre aux demandes de ses clients, notamment à Pâques, une période durant laquelle la demande des consommateurs est très forte.
La mixité bovin-ovin aide à réduire le parasitisme
En plus d’offrir un étalement de sa trésorerie, ce rythme lui permet aussi d’optimiser l’occupation de sa bergerie. « Si j’étais uniquement en période d’agnelage au printemps, il me faudrait au moins quatre bâtiments comme celui-ci. Mais je ne souhaitais pas investir davantage, témoigne l’éleveur. Les Charmoises sont également capables d’agneler seules sans grandes difficultés puis les petits arrivent à téter rapidement. J’ai ainsi plus de temps pour m’occuper de mes autres activités ».
Thomas Raiffé possède en effet quelques vaches Pie Noire pour commercialiser de la viande de veau et « sauvegarder la race ». À ses propres bêtes, s’ajoute une dizaine de génisses d’une exploitation voisine que l'agriculteur fait paître dans ses prairies jusqu’à leurs trois ans. « La présence de mes vaches et de leurs veaux aide à canaliser naturellement ces génisses qui peuvent être parfois perdues ou apeurées du fait de leur jeune âge. Cela me fait gagner pas mal de temps ».
L’éleveur a réussi à optimiser son travail en misant sur l’éducation naturelle de son troupeau. « Si je n’avais pas ces vaches, j’aurais besoin de plus de brebis pour manger l’herbe et donc encore une fois, plus de bâtiments, ajoute par ailleurs Thomas Raiffé. De plus, le fait de faire brouter les bovins après les ovins permet de diminuer le parasitisme qui touche beaucoup les brebis, plus fragiles ». Pour réduire davantage ce parasitisme, Thomas Raiffé intègre ses prairies dans la rotation de ses cultures de céréales.
Ces dernières constituent sa troisième activité. Chacune lui apportant environ un tiers de son chiffre d’affaires, même s’il consacre 90 % de son temps à ses brebis. « Ce que je cherche avant tout c’est la complémentarité de mes activités. Ma ferme fonctionne en complète autonomie ». Par exemple, les déjections de ses animaux servent à nourrir le sol pour ses cultures de céréales ou encore les brebis, en broutant, dispensent l'agriculteur de désherbage. Enfin, une partie de la production de ses sept variétés de céréales nourrit ses bêtes lorsqu’il n’y a plus d’herbe dehors. En période de semis (novembre) et de moisson (juillet-août), l’agriculteur parvient à maîtriser ses agnelages de telle sorte qu’il puisse se libérer du temps pour le travail aux champs.
Le choix évident de la conversion en bio
« L’alliance de mes trois activités constitue un système cohérent qui convient à mon rythme, tout en respectant l’environnement », présente l’éleveur. Il a repris en 2015 la ferme de vaches laitières en agriculture conventionnelle de ses beaux-parents. Fort de son expérience de plus de 20 ans dans le domaine agricole (technicien puis commercial), la conversion en bio s’est imposée comme une évidence pour lui. « Être en conventionnel, c’est un non-sens, on sait qu’on va dans le mur ! C’est comme avec le
loup ou les chiens errants : on sait qu’ils sont là alors il faut anticiper, il faut agir, avant qu’il ne soit trop tard ».